Ce samedi nous avons fait un bond en
arrière pour tenter de re-situer notre exercice et de se faire ainsi
une idée plus juste de ce à quoi répond - intention politique,
humaine, empathique, sociale - le type de pratique dans le-quel nous
nous engageons - celle de construire des logements d'urgences, de
panser des plaies sociales et politiques -.
Tout d'abord il apparaît clairement
que le phénomène de la marginalité, dans le travail, dans le
logement etc. est un problème politique immémorial qui nous
dépasse, nous et notre discipline.
Ensuite ce que permet ce bond en
arrière c'est de remettre en perspective le discours relativement
homogène des experts du vécu.
Ce discours est celui de la
ré-intégration. Il passe sous silence, comme un impensé, la
positivité que peut porter le marginal. Le postulat est que le
clochard est un échec, un drame. Bien sûr il y a du drame dans la
vie d'un clochard. Mais bien souvent c'est le clochard lui-même en
tant qu'il est l'image d'un problème qu'on réduit à un drame.
Il y a toute une pratique de la
réduction dans la charité. Réduction de l'autre à ses manques,
ses besoins soupçonnés inassouvis. Nous voyons dans le clochard ce
qu'il n'est pas, malgré lui, à ses dépens, car le laissé-aller,
la détresse l'a vaincu nous pensons. Nous voyons ce qu'il n'est pas,
c'est à dire ce qu'il devrait être, un citoyen, propre et au
travail.
En ce sens, l'assistanat, la charité
reconnaît dans l'autre un individu faible. L'assistant vient
suppléer à un manque d'autonomie, de responsabilité. En toute
bienveillance on écrase l'autre. On le réduit à un échec. Sans
même en avoir l'intention ce rapport fait croire au dominé que sa
survie est entièrement suspendue à la charité de ceux qui par
ailleurs sont biens intégrés au système qui les écrase. On
pourrait dire avec un peu de provocation que la charité organise le
bon déroulement du désastre.
Aussi, Home for less peut facilement se
changer en less than a home.
Nous ne voulons pas fabriquer une
cellule de survie minimale qui serve à ranger à l'échelle de sa
conception, industrielle, les clochards dans des boîtes elles-mêmes
rangées dans les les km² de bureaux que la promotion immobilière a
vomie et qu'elle ne sait plus valoriser.
Ces km² de bureaux sont les poubelles
immenses de l'économie bruxelloise. Que les clochards y logent, cela
va de soi, d'ailleurs c'est un fait. Mais que nous les y rangions, en
toute bienveillance, par le don humaniste et charitable de nos
compétences architecturales, dans des boîtes optimisées, calibrées
sur les manques d'un clochard profilé et finalement d'une personne
usurpée et aplatie une deuxième fois par la société qui l'avait
déjà écrasé, cette fois pour se racheter elle-même, là on veux
pas collaborer.
Aussi bien on peut dire
que le clochard est (tel quel)
incompatible avec le système de valorisation sociale.
Aussi bien on peut dire
que c'est le système qui est
incompatible, qui dévalorise le clochard.
La contradiction de réformer le
système pour qu'il valorise les improductifs saute aux yeux.
Mais nous percevons rarement la
contradiction symétrique, qu'il y a vouloir réformer le clochard
pour l'intégrer au système de valorisation.
Aussi on pourrait dire que chaque
système de valorisation possède par définition ses clochards, ses
déclassés.
Nous nous disons que, Si en effet il y
a de la détresse chez les clochards, en revanche, s'exclure, être
exclue, l'un et l'autre à la fois, du système de valorisation
sociale (propreté, travail, logement « décent » etc)
n'est pas réductible à une détresse. Une marginalité peut prendre
d'innombrables formes et parfois même être radicalement
revendiquée.
Tout processus d'émancipation passe
par ce que le dominé se réhabilite à ses propres yeux. Et c'est ce
que le rapport de charité compromet .
Le clochard est porteur de sa propre
positivité. Il peut être en détresse certes, mais aussi en colère,
il peut être révolté, il peut porter d'autres valeurs, parfois
antagonistes.
Lors des tables rondes, Thomas qui
avait participé à la création du 123 rue royale, nous disais que
les déclassés (sans papiers réfugiés clochard chômeurs etc) avec
qui il avait partagé des projets de squat (lui petit blanc bourgeois
tel qu'il se présentait) se réalisaient dans la lutte, leur lutte,
contre la valorisation marchande du territoire, système de
valorisation dont ils sont les parias. Ici Thomas nous parlait dans
ce registre qu'on a évoqué, de se réhabiliter à ses propres yeux.
Thomas parlait là en dehors de tout esprit de charité.
Home for less donc, c'est pour une
maison avec moins « d'économie ». Une maison pour ceux précisément que « l'économie »
a dévalorisé. Des maisons qui se passent de l'économie pour
exister et persister. Des maisons avec moins de ce que
valorise le système de valorisation. C'est à dire bien sûr avec
moins d'argent, mais aussi avec moins de normes et de sécurités grisantes, moins de
légalité, avec plus de surprises, plus d'improvisations, plus
d'artisanat.
Nous partons de là. La positivité du
clochard.
Dans le langage froid de l'économie
politique, le clochard, individu dévalorisé, (ce que confirme, la
charité, comme malgré elle, en se trahissant) a déjà cette
pratique de ce qui est dévalorisé. Les poubelles. au sens large.
Dans ces grandes poubelles on y trouve bien sûr les clochards. Mais
ces mêmes clochards y trouvent des vêtements, des cartons etc.
Le clochard en tant que déchet social
a déjà toute une pratique des poubelles.
Pour ce projet nous devons nous faire
les artisans post-industriels des poubelles de la métropole.
Notre home for less doit être un
palace gratuit. Nous devons faire quelque chose de plus désirable
encore que ce que valorise le système économique et ceci avec ses
propres poubelles. Voilà la seule
victoire contre l'économie que l'ont peut espérer de ses déclassés,
les clochards qui nous préoccupent.
