mardi 21 février 2017

Groupe 5 - Amorce du projet


Ce samedi nous avons fait un bond en arrière pour tenter de re-situer notre exercice et de se faire ainsi une idée plus juste de ce à quoi répond - intention politique, humaine, empathique, sociale - le type de pratique dans le-quel nous nous engageons - celle de construire des logements d'urgences, de panser des plaies sociales et politiques -.

Tout d'abord il apparaît clairement que le phénomène de la marginalité, dans le travail, dans le logement etc. est un problème politique immémorial qui nous dépasse, nous et notre discipline.
Ensuite ce que permet ce bond en arrière c'est de remettre en perspective le discours relativement homogène des experts du vécu.
Ce discours est celui de la ré-intégration. Il passe sous silence, comme un impensé, la positivité que peut porter le marginal. Le postulat est que le clochard est un échec, un drame. Bien sûr il y a du drame dans la vie d'un clochard. Mais bien souvent c'est le clochard lui-même en tant qu'il est l'image d'un problème qu'on réduit à un drame.
Il y a toute une pratique de la réduction dans la charité. Réduction de l'autre à ses manques, ses besoins soupçonnés inassouvis. Nous voyons dans le clochard ce qu'il n'est pas, malgré lui, à ses dépens, car le laissé-aller, la détresse l'a vaincu nous pensons. Nous voyons ce qu'il n'est pas, c'est à dire ce qu'il devrait être, un citoyen, propre et au travail.
En ce sens, l'assistanat, la charité reconnaît dans l'autre un individu faible. L'assistant vient suppléer à un manque d'autonomie, de responsabilité. En toute bienveillance on écrase l'autre. On le réduit à un échec. Sans même en avoir l'intention ce rapport fait croire au dominé que sa survie est entièrement suspendue à la charité de ceux qui par ailleurs sont biens intégrés au système qui les écrase. On pourrait dire avec un peu de provocation que la charité organise le bon déroulement du désastre.

Aussi, Home for less peut facilement se changer en less than a home.
Nous ne voulons pas fabriquer une cellule de survie minimale qui serve à ranger à l'échelle de sa conception, industrielle, les clochards dans des boîtes elles-mêmes rangées dans les les km² de bureaux que la promotion immobilière a vomie et qu'elle ne sait plus valoriser.
Ces km² de bureaux sont les poubelles immenses de l'économie bruxelloise. Que les clochards y logent, cela va de soi, d'ailleurs c'est un fait. Mais que nous les y rangions, en toute bienveillance, par le don humaniste et charitable de nos compétences architecturales, dans des boîtes optimisées, calibrées sur les manques d'un clochard profilé et finalement d'une personne usurpée et aplatie une deuxième fois par la société qui l'avait déjà écrasé, cette fois pour se racheter elle-même, là on veux pas collaborer.

Aussi bien on peut dire
que le clochard est (tel quel) incompatible avec le système de valorisation sociale.
Aussi bien on peut dire
que c'est le système qui est incompatible, qui dévalorise le clochard.

La contradiction de réformer le système pour qu'il valorise les improductifs saute aux yeux.
Mais nous percevons rarement la contradiction symétrique, qu'il y a vouloir réformer le clochard pour l'intégrer au système de valorisation.
Aussi on pourrait dire que chaque système de valorisation possède par définition ses clochards, ses déclassés.

Nous nous disons que, Si en effet il y a de la détresse chez les clochards, en revanche, s'exclure, être exclue, l'un et l'autre à la fois, du système de valorisation sociale (propreté, travail, logement « décent » etc) n'est pas réductible à une détresse. Une marginalité peut prendre d'innombrables formes et parfois même être radicalement revendiquée.
Tout processus d'émancipation passe par ce que le dominé se réhabilite à ses propres yeux. Et c'est ce que le rapport de charité compromet .
Le clochard est porteur de sa propre positivité. Il peut être en détresse certes, mais aussi en colère, il peut être révolté, il peut porter d'autres valeurs, parfois antagonistes.
Lors des tables rondes, Thomas qui avait participé à la création du 123 rue royale, nous disais que les déclassés (sans papiers réfugiés clochard chômeurs etc) avec qui il avait partagé des projets de squat (lui petit blanc bourgeois tel qu'il se présentait) se réalisaient dans la lutte, leur lutte, contre la valorisation marchande du territoire, système de valorisation dont ils sont les parias. Ici Thomas nous parlait dans ce registre qu'on a évoqué, de se réhabiliter à ses propres yeux. Thomas parlait là en dehors de tout esprit de charité.

Home for less donc, c'est pour une maison avec moins « d'économie ». Une maison pour ceux précisément que « l'économie » a dévalorisé. Des maisons qui se passent de l'économie pour exister et persister. Des maisons avec moins de ce que valorise le système de valorisation. C'est à dire bien sûr avec moins d'argent, mais aussi avec moins de normes et de sécurités grisantes, moins de légalité, avec plus de surprises, plus d'improvisations, plus d'artisanat.
Nous partons de là. La positivité du clochard.
Dans le langage froid de l'économie politique, le clochard, individu dévalorisé, (ce que confirme, la charité, comme malgré elle, en se trahissant) a déjà cette pratique de ce qui est dévalorisé. Les poubelles. au sens large. Dans ces grandes poubelles on y trouve bien sûr les clochards. Mais ces mêmes clochards y trouvent des vêtements, des cartons etc.
Le clochard en tant que déchet social a déjà toute une pratique des poubelles.
Pour ce projet nous devons nous faire les artisans post-industriels des poubelles de la métropole.
Notre home for less doit être un palace gratuit. Nous devons faire quelque chose de plus désirable encore que ce que valorise le système économique et ceci avec ses propres poubelles. Voilà la seule victoire contre l'économie que l'ont peut espérer de ses déclassés, les clochards qui nous préoccupent.